Il y a plus de solutions que d’obstacles, Nicolas Zart
Il y a quelque temps, j’ai été invité à prendre la parole au sommet de l’AAM, à Porto Salvo, au Portugal, les 25 et 26 novembre. Frederico Fernandes, l’organisateur du sommet, m’a posé une question provocante : “Où en sommes-nous dans la course à l’AAM ?”
J’ai pensé que je pourrais facilement répondre à cette question en vingt minutes, mais en y réfléchissant bien, je me suis demandé comment quantifier cette course.
La course doit-elle être mesurée à l’aune des dépôts de propriété intellectuelle, des vols sans ancrage, de la transition complète de l’eVTOL ou des investissements garantis ? Ou s’agit-il plutôt d’atteindre l’état de préparation opérationnelle et la désirabilité du public ? Qu’en est-il des partenariats avec les compagnies aériennes et les aéroports ? Si l’on considère que l’année 2023 a vu un nombre record de 760 dépôts de brevets et que l’AAM connaît une poussée d’innovation sans précédent depuis la naissance de l’aviation, par où commencer ? Ces questions soulignent la complexité de ce secteur en pleine évolution – un véritable kaléidoscope en 4 dimensions.
Depuis la scène : Simplifier la complexité
Lorsque je suis monté sur scène, j’ai dit en plaisantant qu’il était impossible de condenser une présentation de 3 500 mots en 20 minutes. J’ai réduit ma présentation de 15 diapositives à seulement trois, adoptant le minimalisme pour refléter la nature rapide de l’industrie. Malgré les contraintes, j’ai distillé l’essence de la course de l’AAM en 18 minutes de discours rapide. En voici l’essentiel.
Définir la course : perception du public et acteurs du marché
Pour commencer, je me suis concentré sur la perception du public. Pourquoi ? Parce que les communiqués de presse suscitent l’enthousiasme, l’enthousiasme attire les investisseurs et les investisseurs financent les innovations. Ce cycle fait progresser n’importe quel secteur. C’est un bon point de départ. Et bien que nous soyons peut-être dans « l’hiver des investissements », la première vague d’investisseurs n’est pas toujours au fait de l’industrie, laissant aux plus avertis le soin d’attendre et de voir. 2025 sera l’année où les investisseurs avertis de l’industrie feront un pas en avant.
J’ai mis en évidence les principaux acteurs qui mènent la course à l’AAM : Joby Aviation, Archer Aviation, Beta Technologies et Wisk Aero, entre autre. Ces entreprises bien financées servent de référence et se taillent la part du lion en matière de publicité. Cependant, des acteurs plus petits, en particulier ceux qui développent des eVTOLs plus compacts, font des progrès significatifs et ne doivent pas être négligés.
Au sein de Electric Air Mobility, LLC, nous disons à beaucoup d’autres start-ups de l’AAM qu’être numéro un ou deux n’est pas toujours la meilleure place. La meilleure place est juste après, lorsque vous pouvez voir ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas, ce qu’il faut faire et ce qu’il faut éviter. Ces startups de l’AAM ont chacune une offre unique qui les place en position de leader dans leur domaine.
- SkyDrive: Ces eVTOLs à trois places sont parfaits pour les courts trajets de mobilité aérienne urbaine (UAM). Ils peuvent effectuer des sauts à l’intérieur des villes et relier les aéroports et les centres de mobilité très fréquentés aux centres-villes et aux centres d’affaires.
- EHang: La famille d’eVTOL autonomes biplaces 216 n’obtiendra peut-être pas la certification de la FAA et de l’EASA, mais l’entreprise a d’autres pays que la Chine, où ils pourraient être utilisés pour des opérations touristiques. L’entreprise travaille actuellement sur d’autres modèles.
- Volocopter? Il y a quelques mois, Volocopter aurait fait partie des petits acteurs les plus susceptibles de réussir pour beaucoup. Cependant, si vous avez suivi l’actualité récemment, Volocopter et Lilium ont connu des temps difficiles, au bord de l’oubli.
Si les petits modèles sont plus faciles à certifier, les aéronefs à ailes de Joby, Archer et Wisk pourraient prendre l’avantage grâce à leurs ailes et à leur polyvalence. Il y a tellement d’autres fabricants d’eVTOL qu’il serait fastidieux de les citer tous et que cela dépasserait le cadre de cette course.
La situation financière des acteurs de l’AAM
Si l’on examine la situation financière des quatre premiers, il est clair qu’ils mènent la danse malgré un affrontement temporaire sur le plan financier.
- Joby Aviation
- Soutenue par Toyota, non seulement financièrement mais aussi en termes d’équipements de fabrication, Joby a obtenu une certification Part 135 du FAA et un partenariat avec Delta Airlines. Son entrée dans le secteur remonte à la fin des années 2000..
- Archer Aviation
- Bien que la société soit arrivée plus tard, son partenariat avec United Airlines et ses commandes d’avions Midnight ont consolidé la position d’Archer dans l’industrie. Bien que les deux avions soient similaires en termes de conception et de design, nous assistons ici à une opposition simaire a celle entre Apple et Microsoft. Nous vous laissons décider qui est qui.
- Beta Technologies
- Une stratégie diversifiée avec des systèmes de recharge certifiés et une platforme à la fois eVTOL et eCTOL font de Beta une entreprise à part. Une mention spéciale ici est que Beta a jugé assez sage de changer son Alia 250 d’un eVTOL à un eCTOL, ce qui le rend plus facile et plus rapide à certifier et à opérer.
- Wisk Aero
- Wisk ignore la période d’essai du pilotage humain pour se lancer directement dans les opérations autonomes. Également similaire dans sa conception et son fonctionnement, l’entreprise est assez audacieuse pour dire qu’elle ne fait pas la course pour être la première à opérer. Le soutien de Boeing lui confère une certaine crédibilité, même si l’entreprise est toujours en litige avec Archer, une autre société dans laquelle elle investit.
Milieu de terrain
Des entreprises comme Vertical Aerospace, Jaunt Air Mobility et Eve Air Mobility entre autres sont confrontées à des problèmes de croissances et à des changements de stratégie.
Perspectives d’avenir
Il faut s’attendre à des difficultés financières et à des fusions au fur et à mesure que l’industrie mûrira jusqu’en 2025 et au-delà. Les investisseurs avertis de l’aérospatiale devraient revenir sur le marché d’ici à 2025, apportant un nouvel élan. Il convient également d’être attentif à la « course à la certification » des fabricants d’eVTOL. La certification des prototypes est à la portée de la plupart des fabricants d’eVTOL, mais la certification commerciale est une autre affaire qui demande du temps et plus d’argent que ce qui a été investi jusqu’à présent. Cette dernière est exponentiellement plus coûteuse et plus longue que la première.
La voie surprenante de la certification des eSTOL et eCTOL
Les aéronefs électriques à décollage et atterrissage courts (eSTOL) et les aéronefs électriques à décollage et atterrissage conventionnels (eCTOL) retiennent de plus en plus l’attention. Ces modèles, basés sur des fuselages et des ailes traditionnels, sont plus faciles à certifier.
Electra Aero, avec son eSTOL capable de décoller en moins de 135 pieds de piste et d’atterrir sur encore moins, est un avion particulièrement attrayant. Nous avons écrit sur le banc d’essai Goldfinch et sur l’EL9, un avion à sept places. Cet avion promet des FATO moins profondes, sans transition entre les opérations verticales et horizontales, ce qui est une aubaine pour les infrastructures vertiportuaires et multiportuaires. Plus d’informations ici et ici.
Le vol à hydrogène de Zero Avia s’attaque à des eCTOLs de plus grande taille. Et l’Alice eCTOL d’Eviation est un autre exemple d’avion électrique parfait pour les navettes entre villes. Andre Stein, connu sous le nom de « Stein », anciennement PDG d’Eve Air Mobility, est désormais PDG d’Eviation, ce qui promet un transfert de connaissances bien méritées.
Mention spéciale au Cassio 330 de VoltAero, un avion séduisant qui peut voler en mode électrique pur, en mode hybride léger et en mode hybride complet. Ce qui nous plaît, c’est sa conception ingénieuse d’un train avant motorisé et d’un moteur Yamaha six cylindres fonctionnant à l’hydrogène.
Quant a la décision de Beta Technologies de nous proposer un eVTOL et un eCTOL avec son Alia 250 illustre cette tendance et rapproche l’entreprise de la certification commerciale.
Obstacles à la certification : Les éléphants blancs dans la pièce
Les progrès de l’industrie dépendent fortement des autorités de certification telles que la FAA, l’EASA et les régulateurs émergents au Moyen-Orient et en Asie. Alors que la certification concerne les aéronefs, les infrastructures ne font pas l’objet d’une certification à proprement parler, mais d’une circulaire consultative (AC). Celles-ci servent de plans directeurs non contraignants pour assurer la sécurité des opérations des eVTOL, eSTOL et eCTOL.
L’agence de l’aviation civile des Émirats Arabes Unis, la GCAA, est particulièrement prévoyante, observant les développements de la FAA et de l’EASA pour adapter sa stratégie. Elle pourrait devenir l’une des premières autorités à certifier les aéronefs AAM.
Les accords de collaboration entre le Japon, la Corée et les régulateurs occidentaux rationalisent également le processus de certification.
Enfin, nous attendons avec impatience une collaboration accrue entre la FAA américaine et l’AESA européenne, les deux principaux organismes internationaux de contrôle de l’aviation.
L’infrastructure, la colle de l’AAM
Il va sans dire que ces aéronef ne serviront pas à grand-chose sans une infrastructure solide mêlant énergie et gestion créative du trafic aérien (ATM), conception modernisée des terminaux et approche multiport de l’industrie. Les sociétés d’infrastructure varient en termes de portée et d’activités. En voici quelques unes:
Skyports est particulièrement avant-gardiste, observant les développements de la FAA et de l’AESA pour adapter sa stratégie. Elle pourrait devenir l’une des premières autorités à certifier les avions AAM.
UrbanV S.P.A : crée des vertiports modulaires et extensibles pour les environnements urbains, en collaboration avec Joby Aviation et Vertical Aerospace.
Ferrovial Vertiports : Développe des réseaux de vertiports, en particulier dans le sud de la Floride, en collaboration avec UrbanLink Air Mobility et d’autres leaders de l’AAM. Ils ont récemment annoncé qu’ils prendraient du recul par rapport à l’AAM.
VPorts : Conçoit, construit et exploite l’infrastructure de l’AAM, en se concentrant sur la sélection de l’emplacement des vertiports et leur accessibilité.
Varon : participe au développement des vertiports, mais ne fournit pas de détails sur des projets ou des partenariats spécifiques.
Skyportz : sélectionné pour construire le premier vertiport d’Australie à Melbourne d’ici 2026.
Groupe ADP : Construction de quatre vertiports à Paris.
Urban-Air Port : Classé parmi les meilleures entreprises pour la préparation de l’infrastructure de vertiport de l’AAM.
Electric Air Mobility, LLC est un groupe de conseil de l’AAM. En avez-vous entendu parler ?
De l’acceptation à la désirabilité
L’acceptation par le public ne suffit plus ; l’AAM doit susciter le désir. Tout comme Apple a redéfini la technologie grand public avec l’iPhone, l’AAM doit créer une expérience convaincante et irrésistible.
Comme l’a dit Steve Jobs, « les gens ne savent pas ce qu’ils veulent tant qu’on ne le leur montre pas ». Ce principe s’applique à l’AAM, qui peut devenir l’avenir de la mobilité en donnant la priorité au design, à la fonctionnalité et à l’expérience utilisateur.
Réflexions finales
À titre personnel, j’ai vu le S4 de Joby voler il y a quelques années. C’était un spectacle impressionnant. Si le ronronnement et le sifflement de l’eVTOL étaient agréables à l’oreille au decollage, la seule chose que j’entendais était le moteur du chasseur à voilure fixe. À un moment donné, un gros hélicoptère Leonardo est venu s’entraîner à l’atterrissage. C’est la seule chose que l’on pouvait entendre. C’était impressionnant de voir ces trois cousins voler dans le même espace aérien.
J’ai à peine eu le temps d’effleurer la question de l’énergie et des quantités considérables qu’elle nécessite pour faire fonctionner les vertiports à plein régime. La quatrième génération de l’énergie nucléaire est un retour à la base de la conception des réacteurs qui offre une énergie plus sûre et plus respectueuse de l’environnement. C’est un sujet que nous avons abordé précédemment et sur lequel nous nous réjouissons de revenir de temps à autre.
Il n’a pas été facile de faire le point sur la course à l’AAM, mais vingt minutes ont suffi pour montrer que toutes ces technologies suivent la même trajectoire que les innovations perturbatrices du passé : les véhicules électriques, les smartphones, l’internet et bien d’autres encore. Chacune d’entre elles a été confrontée au scepticisme avant de transformer le monde. Avec les bonnes stratégies et l’engagement du public, l’AAM atteindra le même niveau d’impact global, une révolution unique qui se déroule sous nos yeux.
Pour en savoir plus:
VFS est un endroit idéal pour voir combien de projets d’AAM ont été lancés, lesquels sont toujours en cours et lesquels ont été testés et mis à l’essai. Je suis fier de dire que l’AAM y a introduit deux projets en 2016, alors qu’elle en comptait moins de 50.